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Propulsé jeune prodige du rap US avec Section.80, Kendrick Lamar a transformé l’essai pour son premier disque en major, good kid m.A.A.d city, petit bijou de storytelling conscient et autobiographique. Du haut de ses 25 ans, le petit bonhomme de Compton a la tête bien calé sur les épaules et affiche la confiance et l’ambition d’un déjà grand.

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La sortie de good kid m.A.A.d city a été accompagnée de critiques dithyrambiques, que ce soit dans la presse hip-hop, branchée, ou dans les médias généralistes.  Une telle unanimité, c’est fou.

C’est génial, c’est quelque chose qu’on a construit pour arriver à ce moment où le monde nous regarde. On répond présent à l’instant décisif, c’est ce sur quoi on travaille à Top Dawg Entertainment.

Comment tu expliques que ta musique parvienne à toucher autant de gens différents, il est de plus en plus rare qu’un artiste rap parvienne à un tel consensus ?

J’ai trouvé cet équilibre il y a longtemps, la différence c’est qu’aujourd’hui le public est là. Je fais ça depuis Section.80Overly DedicatedKendrick Lamar EP, et maintenant un public plus large s’en rend compte. Mon objectif c’est de trouver le juste milieu sans jamais me compromettre, même quand j’expérimente de nouveaux sons, c’est vraiment moi. Ma musique est faite pour parler à tout le monde, pas juste à une petite scène underground.

Ton album est sorti le 22 octobre, mais il a fuité sur le net dès le 18. Comment on vit ça ?

L’album a leaké quatre jours avant la sortie, et en fait c’était super ! Quatre jours, c’est le mieux que je pouvais espérer, c’est une victoire ! Beaucoup d’artistes ont vu leur album sortir sur le net bien avant, un mois pour J. Cole, deux semaines pour Big Sean. Donc 4 jours j’étais content : « prenez-le, parlez-en ! » Au final, ça a permis à plus de gens d’en entendre parler et de l’acheter le jour de la sortie pour me soutenir.

Oui, au final good kid m.A.A.d city s’est écoulé à 240 000 exemplaires en première semaine. Un meilleur score que le dernier Rick Ross ou la compilation de Kanye West, Cruel Summer.

C’est même le plus gros démarrage en rap depuis l’album de Drake, personne n’avait fait ça depuis un an. Mais je m’y attendais. Ma musique bénéficie d’un gros bouche à oreille depuis ma première mixtape, les ventes n’ont cessé de grimper à chaque fois, et on prédisait que l’album ferait dans les 200 000. Dès le leak du disque les éloges ont commencé à tomber et les chiffres n’ont cessé de grimper jusqu’à 240 000. Tout s’est fait naturellement.

Depuis mon premier projet, qu’on avait sorti sans aucune assise financière, les gens me suivent. On savait que ça continuerait à se développer de disque en disque, le progrès est continu depuis le début.

« On est allés chez Interscope les flingues à la main ! »

Le fait que tu signes sur Interscope et que Dr Dre te prenne sous son aile a fait flipper tes fans de la première heure, au final on n’a pas l’impression que tu aies fait de compromis quand on écoute l’album. Comment t’as fait pour tenir tête au gens du label ?

En gros, on y est allé les flingues à la main (sourires). Tout était prémédité, je savais quel genre d’album j’allais sortir pour mon début en major, le boss de Top Dawg [le label indépendant qui gère toujours la carrière de Kendrick, NDLR] lui-même avait dit clairement qu’il ne voulait pas changer ça, peu importe où il me ferait signer. On savait qu’on n’allait pas dévier de notre plan initial, proposer quelque chose dans lequel le public puisse se reconnaitre, tout en amenant un côté universel. C’est la partie la plus délicate, la partie que je ne peux pas vraiment expliquer. C’est juste quelque chose que j’ai appris à faire en faisant de la musique, en étant constamment en studio à bosser. C’est là que j’ai appris ce qui marche pour moi, ce qui est en accord avec moi, ce qui peut créer cette connexion. C’est comme ça qu’on s’est présenté dans cet immeuble, et ils nous ont respecté, ils nous ont dit : « ok continuez à faire ce que vous savez faire« .

Avoir connu un certain succès en indépendant avec l’album Section.80 t’as aidé dans le rapport de force avec Interscope ?

Oui, en gros on leur a dit : « si 80 000 personnes ont acheté Section.80, 500 000 peuvent acheter good kid m.A.A.d city ». Section.80 n’était même pas sorti en physique, rien que sur iTunes, et il aurait pu faire beaucoup mieux s’il avait été dans les bacs. Donc pour moi si autant de gens ont aimé Section.80, c’est que le reste du monde était prêt à aimer ma musique.

Tu as aussi pris une décision assez couillue en décidant finalement de ne pas faire figurer Lady Gaga sur ton album. Qu’est-ce qui s’est passé ?

Je ne voulais pas encore repousser la sortie de mon album. Je l’avais déjà repoussé du 2 au 22 octobre pour des histoires de samples à valider, il y avait une deadline, un mastering à finir, plein de petits détails à régler qui prennent du temps et dont les gens qui ne sont pas dans le business n’ont pas forcément conscience. Je ne crois pas que ça ait causé du tort, notre relation n’a pas changé, il s’agissait juste de moi qui ait pris la décision de sortir l’album comme ça. Elle respecte ma musique, ma vision des choses, et la décision que j’ai prise.

Quand on écoute good kid m.A.A.d city, on ressent chez toi comme une obsession de vouloir rentrer dans l’histoire du rap, pas juste signer un succès. D’où te vient cette vision ?

Je veux construire quelque chose qui grandisse. Quand Reasonable Doubt [le premier album de Jay-Z] est sorti, il n’a pas fait platine [1 millions d’albums vendus aux Etats-Unis] directement. Quand tu démarres trop haut, la seule chose que tu peux faire c’est redescendre. 50 Cent me l’a dit un jour : « quand mon premier album est sorti et s’est vendu à un million d’exemplaires en une semaine, je savais que je ne pourrai jamais dépasser ça, que ça allait décliner« . Moi je veux continuer à grossir, en sortant des disques solides, qui ne toucheront peut-être pas le monde entier mais qui auront un impact, pour le bien du hip hop. La longévité vient de la répétition des efforts dans ce game. Ce coup-ci je fais 240 000 en première semaine, le prochain fera peut-être 500 000, et ensuite un million qui sait ? De plus en plus de gens me découvrent et sont enthousiasmés par le fait que je fais du rap dans sa plus pure forme. Si j’avais une vision à court terme j’aurais fait un album rempli de chansons avec le potentiel pour être des hits radio.

Beaucoup de rappeurs de la nouvelle génération qui avaient impressionné sur leurs mixtapes se sont un peu plantés sur leur premier disque en major, comme Wiz Khalifa ou Big Sean qui l’ont même reconnu publiquement. Tu voulais éviter cet écueil ?

C’est bien qu’ils l’aient admis. Moi je ne voulais avoir aucun regret sur cet album. Ton premier album est censé être ton bébé, je veux que les gens puissent se pencher dessus plus tard en se disant : « il a assuré« . Et je veux aussi pouvoir me dire que j’ai assuré.

D’ailleurs, pourquoi déclares-tu partout que good kidd m.A.A.d city est ton premier album ? Section.80 c’est quand même pas une vulgaire mixtape ?

Non, c’est clair. Mais disons que good kidd m.A.A.d city est le premier album que je présente au monde, et dans les bacs. C’est la première fois que j’ai un disque en magasins, que je peux tenir mon cd entre mes mains, avec le packaging, les crédits, la pochette, les photos, tout. Ça va au-delà de la musique.

« Je ne veux prêcher personne, je ne suis pas Dieu »

A travers l’histoire que tu racontes sur good kidd m.A.A.d city on sent que tu ne veux pas être un mauvais exemple pour tes auditeurs, à défaut d’être un modèle. Tu penses que la musique peut avoir une si grande influence ?

Je pense que ma spécificité, c’est que ma musique porte un message mais qu’elle ne prêche pas. Je ne veux pas qu’on me prêche et je ne veux prêcher à personne, je ne suis pas Dieu, je ne peux pas te dire ceci est mauvais ne le fais pas. Par contre ce que je peux faire c’est glisser l’idée que nos actes ont des conséquences. La vie est faite de décisions. Parfois on prend les mauvaises décisions, parfois les bonnes. Si tu écoutes ma musique je ne pointe personne du doigt, je suis un être humain comme les autres soumis à des tentations. C’est ça mon approche.

L’album est présenté comme un court-métrage, à quel point est-il autobiographique ?

Tout l’album est autobiographique.

Et donc, qu’est-ce qui t’as permis de ne pas déraper dans cette ville de dingue (« maad city ») qu’est Los Angeles ?

La clé, c’est de trouver la positivité. Dans l’album je raconte un épisode dans « Dying of thirst » qui a été un moment particulier et tragique pour moi [il a vu un de ses amis mourir sous ses yeux, NDLR]. Je me suis demandé, en quoi est-ce qu’on croit ? On croit aux flingues, à l’argent, à la drogue ? Est-ce que ça va diriger nos vies indéfiniment ou est-ce qu’on va trouver le côté positif de la vie ? Moi j’ai trouvé la positivité à travers la musique, suite à cet épisode précis. Les évènements m’ont forcé à penser comme ça, ce qui n’a pas été le cas de mes homeboys. Ils ne sont plus là pour en parler. Donc ça, et le respect que j’ai pour mon père, qui est sur la pochette de l’album, m’ont aidé. Je voulais vraiment parler de tout ça sur ce disque : ma famille, mes potes de quartier, la drogue, les tentations, l’ambition, les femmes, la ville. Donc « Dying of thirst » a vraiment été le tournant, non seulement de l’album mais de ma vie.


Un dernier mot sur Detox. Tu as relancé le buzz autour de l’album en en parlant régulièrement en interview, tu as même déclaré que si Dre l’avait encore repoussé c’était à cause de toi…

Oui c’est vrai, Dre a repoussé Detox à cause de good kidd m.A.A.d city. Mais je ne peux rien dire d’autre. C’est classifié, secret d’état !

Interview de fluctuat.premiere.fr

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